L'épreuve du temps - Gilles Verneret - 2011
Les vêtements photographiés par Nadine Lahoz-Quilez sont comme des cadavres : ce qui resterait des cadavres si l’on en retirait le squelette, la structure... qui fait qu’ils se tiennent bien droits devant la photographie, immortalisant leur état présent, tout en rendant compte de ce qu’ils ont été, et fiers d’avoir déjouer l’épreuve du temps.
Ces pantalons, moufles ou sweat-shirts, toutes étoffes endommagées et colorées qui une fois déterrés de la terre lourde et humide, nous rappellent au constat que laissent les mourants : dépouilles abandonnées, témoignages vides et vidés de vies passées... traces archéologiques qui peuvent nous instruire sur une histoire en route : celle d’un projet artistique d’observation.
Souvent ensanglantés ils sont ici savamment agencés ou dépliés, pour prendre l’ultime pose des gisants : objet et “ objeu ” d’artiste (dans le sens de Francis Ponge). Leur enjeu est de nous signifier la dégradation qui habite toute matière organique confrontée au temps de l’enfouissement avec cette perte d’atomes et cette désagrégation qui nous laisse sans voix.
Et ce travail sur le temps parle aussi métaphoriquement de la photographie et étrangement de la détérioration des tirages argentiques qui mis en présence de l’eau, développent aussi ces moisissures qui décollent l’image, l’effacent comme les souvenirs des vivants qui ont habités ces habits, jusqu’à leur ressembler, sortis du néant, mais convoquant encore notre imaginaire.
C’est comme un traité de décomposition que nous assène Nadine Lahoz-Quilez nous retournant la question de savoir si ces images garderont face aux visiteurs leurs airs inquisiteurs et mystérieux de reliques.
Gilles Verneret,
Galerie Le Bleu du Ciel,
9 ph, Septembre de la photographie, Lyon
La levée ou un certain silence - Philippe Chappat - 2011
Il y a cinq ans, Nadine Lahoz-Quilez a commencé à collecter des vêtements usagés, démodés, défraîchis, destinés au rebut, à la friperie. Ils ont été pliés, empilés soigneusement puis abandonnés dans son jardin, livrés au vent et à la pluie, au soleil et à la neige durant cinq années complètes.
Puis en septembre 2010 est intervenue la levée : « Les vêtements sont manipulés délicatement un par un. Des prises de vue sont réalisées. Ils sont dépliés et épinglés sur une plaque de bois peinte en blanc, photographiés puis jetés. »
De ce chantier de fouille, cette exhumation demeure une série de photos de vêtements ordinaires, usés, dégradés jusqu’à la trame par les intempéries et leur séjour en terre.
De prime abord, la taille des clichés s’impose, échelle 1 voir un peu plus grand que nature, ils sont vus comme ils ne l’ont jamais été, magnifiés.
Verticalité, cadrage, mise en page, échelle, scénographie tout les organise comme des entités plastiques à part entière.
C’auraient pu être des natures mortes, c’est à l’évidence une série de portraits auxquels nous sommes confrontés, portraits en pied, attitude canaille pour certains, résolue et affirmée en tout cas, ça ne pendouille pas et s’il leur manque la chair de l’homme, ils en gardent résolument l’empreinte.
Cette immersion dans la nature a agit comme un principe de régénération, pour l’objet inanimé, le vêtement élevé au rang de dépouille et l’absence flagrante du (des) corps qui les a (ont) porté comme une « épreuve qui nous informerait de son contenu »
La juxtaposition temporelle improbable et inédite, temps cyclique du jardin et des saisons qui alterne pourrissement et régénération de la chair, assure sa perpétuation, temps linéaire de l’objet qui, dès sa conception, va inéluctablement glisser de l’usure, à l’obsolescence, puis au rejet, à l’abandon, la disparition....Tout se joue sur cette double temporalité. Elle redonne à l’objet (abject) un statut (statue, stature) surprenant pour atteindre à une symbolique inespérée, comme un écho en forme d’épure de ce qui fut...
L’accélération du processus de vieillissement, de décomposition a paradoxalement redonné une substantialité à des attributs sans sujets, abandonnés et permet de retisser (conserver) des liens, si tenus soient-ils, avec le corps, les corps dont ils ont été détachés.
Le travail de Nadine Lahoz-Quilez nous permet de « reconnaître cette relation persistante », d’imaginer un possible itinéraire, de lire et de décrypter ces « reliquats », conditions pour que la dépouille, le « désormais sans emploi » nous semble un incomparable témoignage.
Philippe Chappat, directeur de la Fabrique
Les malformations cardiaques ou les difficultés d'aimer - Yves Salvat - 2010
Mettre en relation les malformations cardiaques et les problèmes de coeur tel est le sujet que nous propose Nadine Lahoz-Quilez pour cette exposition. Les problèmes de coeur sont-ils liés aux problèmes physiques ? C’est à cette question que l’artiste nous invite à réfléchir.
Dans des housses telles des cages thoraciques démesurées, les coeurs sont blottis au milieu de cocons de coton. Sous cette protection se dissimulent de réelles interrogations.
Cela nous projette dans la société où les hommes et les femmes entretiennent depuis la nuit des temps des relations plus ou moins bestiales, plus ou moins amoureuses, conflictuelles, proches ou distantes. C'est aussi comment l'homme, le mâle, considère la femme à travers les différentes cultures, les différentes sociétés. Le rapport à l'argent est évidemment présent dans la vision artificielle qu'il nous projette. Les titres sont évocateurs : I love you, Absence, Bling-bling, Circulation, Épiderme.. et l'ordre par lequel l'artiste nous invite à pénétrer cette exposition peut-être celui de la vie, l'amour, la mort avec toute l'évolution d'un, puis de deux êtres au sein du groupe humain.
Yves Salvat
Journaliste
Laboratoire 2 - fibres et temps plastiques - Alin Avila - 2009
Qu’il s’enroule ou se déroule, qu’il enlace ou protège - ligne et surface -, le fil tient dans notre culture - comme dans beaucoup d’autres - le rôle important de dire nos vies et, au risque qu’il se casse de parler de nos morts, au point que cela semble un truisme : qui s’intéresse aux tissus aborde la question du temps. Ce n’est donc jamais un matériau neutre puisqu’il est en soi, déjà une métaphore.
Le tissu est toujours présent chez Nadine Lahoz-Quilez : qu’elle imagine des installations faîtes de tout petits vêtements ; qu’elle confie à la pluie des vêtements pliés qu’elle redécouvrira bien plus tard décomposés pour les photographier ; qu’elle découpe des patrons dans l’altu… Le vêtement est l’ombre, la coquille, l’empreinte d’un corps absent, chez elle, son usage porte en lui la force d’une présence inouïe et, à jamais, il ne peut laisser celui qui regarde dans un sentiment neutre.
Nadine Lahoz-Quilez travaille a minima, une forme sommaire, un dessin brodé ou sérigraphie, mais cela importe moins que la manière avec laquelle elle présente et installe ce qui n’est jamais d’emblée donné au regard mais doit s’appréhender dans un geste de découverte. La série exposée dans la Serre de l’Ecole des Beaux-Arts de Saint-Etienne se présente comme une série de volumes à la forme minimale. Ils sont suspendus dans l’air, bougent un peu, ce sont des peaux qu’un corps aurait déserté, des mues. Fragiles, à peine translucides, ils sont des objets de mystère qui nécessitent qu’on s’approche…
L’artiste invite à ce qu’on les touche et propose aux spectateurs de porter des gants blancs. Écartant les pans de ces mues, celui-ci va trouver un cœur brodé, dessiné comme dans un grand manuel scolaire. Le titre de l’œuvre conforte la commotion de l’œil. On devine quand une œuvre s’intitule Gangrène que les fibres noires qui obstruent les veines sclérosent l’organe. Et quand il y a écrit Bling-bling, on devine que la chose est moins sérieuse. Si des cœurs en sequin sont brodés sur les valves, il s’agit d’une romance… Mais plus sérieusement que le discours narratif qui s’établit, c’est la relation physique et tangible à l’objet qui impose au spectateur d’être un acteur dans la situation d’avoir le cœur mis à nu. Que découvrira-t-il lors de sa propre inspection ? Ici l’art retrouve sa puissance d’interrogation.
Alin Avila
Area N°23