Analogies anatomiques, Jean-Pierre Chambon - 2020
Le corps : c'est autour de ce même sujet que se développe pour l'essentiel l'œuvre de Nadine Lahoz-Quilez. Le corps considéré sous différents aspects, différentes approches qui peuvent en appeler tout autant à la science qu'à l'imaginaire, à l'exploration anatomique qu'aux récits mythologiques. L'exposition que l'artiste présente aujourd'hui à l'Espace Vallès prend appui sur les fascias, ce réseau de tissu conjonctif présent dans tout le corps et dont des recherches récentes ont révélé les propriétés étonnantes.
Tout le travail artistique de Nadine Lahoz-Quilez est orienté vers une célébration du corps, qu'elle ne cesse, au moyen de dessins, installations ou objets, d'interroger sous les angles les plus divers, que ce soit ses mécanismes ou les significations culturelles et symboliques de ce qui le vêt, le couvre, l'orne ou le tatoue. Chacune des réalisations de l'artiste est, en définitive, une manière de rendre compte de son émerveillement devant ce sujet infini. Car le corps, qui nous constitue et nous incarne, nous demeure toujours en grande partie étranger. D'où la nécessité, ou le désir, d'en explorer les multiples facettes.
Avec La traversée des peaux, Nadine Lahoz-Quilez franchit l'apparence épidermique, dépasse le visible pour aller voir de l'autre côté, à l'intérieur, sachant, note-t-elle, que « la surface se construit par le dedans ». Et dedans précisément, se trouvent d'autres peaux qu'on nomme les fascias : un enchâssement de tissus conjonctifs, de membranes fibreuses reliées en réseau, soutenant les muscles, les organes et les os, et permettant au corps de se maintenir. Ce qui donne toute sa pertinence à la célèbre formule de Paul Valéry : « ce qu'il y a de plus profond dans l'homme, c'est la peau ».
La complexité des questions liées au corps, cet organisme si subtil, induit une certaine complexité dans les installations de Nadine Lahoz-Quilez, car l'artiste opère par recherche d'analogies avec ses sujets. Ainsi une grande pièce élaborée en référence aux développements du tissu vivant à l'intérieur du corps conjugue-t-elle plusieurs procédés plastiques, en mettant en jeu une série de dessins de maillages cellulaires autour d'une section brodée de suites de perles noires à l'aplomb d'un sol jonché de plaques de verre fracassées. L'imperceptible projection vidéo d'un agrandissement de fascias et une discrète bande-son réglée sur la cohérence cardiaque complètent ce dispositif. Le mur lui-même n'est plus ici utilisé comme un simple support, mais bien comme la métaphore d'une peau supplémentaire.
L'essentiel du travail de Nadine Lahoz-Quilez consiste à imaginer des solutions plastiques pour la transcription des éléments qui composent la matière organique (ou à illustrer des légendes qui engagent le corps dans des métamorphoses). Il lui faudra d'abord trouver les matériaux adéquats, comme les perles de silicone et les faisceaux de brisures du verre qui, par leur transparence et leurs formes, peuvent restituer l'image des fameux fascias tels que les dévoilent le microscope, ou la fourrure qui permet d'évoquer ce que révèle un sondage endoscopique... Ces rapprochements, ces analogies impliquent une certaine fantaisie, laquelle confère aux pièces leur légèreté, leur grâce, quelquefois même une touche poétique d'humour.
La traversée des peaux
Exposition de Nadine Lahoz-Quilez à l'Espace Vallès
La fissure des intimités - Christel Roy - 2018
Nadine LAHOZ-QUILEZ développe un travail complexe mais d’une grande cohérence. Par strates, par couches, ses œuvres nous lient à l’intimité, la nôtre, celle de l’autre. Elle questionne le corps, cette enveloppe, peau, membrane qui protège et enserre une multitude de territoires pour certains encore inconnus.
La peau, les cellules, les cheveux, le cerveau, les os, le cœur, les muscles...autant de matières qui constituent chacun d’entre nous. Mais comment se font les connexions entre tout cela, comment le lien se fait entre le ressenti, les sentiments, les sensations et cette matière du corps ?
Cette mise en réseau, de fluide, de flux, d’énergie véhicule des situations induites qui traduisent des états intimistes et interrogent la conscience de soi et la re-connaissance de lʼautre.
Dit ainsi, cela peut paraître abstrait, mais rien de cela, au contraire...de l’apparence à l’intériorité, de l’enveloppe à l’intimité, tout n’est que porosité, nous invitant à voyager à la découverte de ce territoire qu’est notre corps qui peut s’apparenter à une cartographie. Un voyage inter-cellulaires où les connexions internes nous mettent en réseau. Le dedans / dehors, l’apparent / le masqué, l'interne / externe questionnent nos propres émotions, ressentis et sentiments au cœur des méandres des relations humaines.
Avec de tels questionnements ou relations à l’intime, dans l’intimité de chacun de nous, différente pour chacun de nous, que nous préservons, cachons, protégeons il y a toujours une porosité, une fissure des intimités…
Comme un territoire...
En s’appuyant sur des imageries médicales, scanner, IRM, Nadine LAHOZ-QUILEZ cherche à comprendre ces connexions. La science avance à grand pas et révèle tous les jours des territoires inconnus.
Nadine dessine, brode, tisse, coud à partir de ces images qui sont autant de matières transformées avec finesse et préciosité. Des techniques, telles que broderie, tannerie ou couture, soulignent un savoir-faire, liant la beauté du geste, la main qui travaille la matière, ici transcendées par l’artiste.
Les perles (perles de rocaille, sequins, perle et tubes de verre), très souvent utilisées par l’artiste, soit en broderie, soit simplement cousues, peuvent ainsi faire référence à ces cellules, à l’infiniment petit… Ces perles transcendent l’image et magnifient poétiquement la représentation.
Dans les Nouvelles cartographies, Test de Rorschach, ou Byrsa, les broderies de perles apposées sur des peaux ou des cuirs marouflés deviennent figures abstraites, ou paysages. Le changement d’échelle accentue ce décalage et ainsi bouleverse notre perception.
Cette notion de territoire est très perceptible dans l’œuvre Byrsa, dont la légende est tout à fait porteuse de sens : après l’assassinat de son mari par Pygmalion, Didon, fille de Bélus, roi de Thyr, s’enfuit pour gagner la pointe nord de l’Afrique. Elle conclut un marché avec les autochtones : acheter autant de terres qu’une peau de vache peut en contenir. Elle découpe cette peau en fines lanières puis elle encercle un territoire pour bâtir la citadelle de Byrsa et fonder Carthage.
Nadine LAHOZ-QUILEZ, nous donne à voir une peau tel un territoire, étendu, extensible… Une peau telle une carte, délimitant un espace, comme un continent avec ses reliefs et ses frontières. Une peau sans connotation mortuaire mais au contraire un hymne à la vie, symbolisant la construction et l'émancipation d'un peuple entraîné et porté par une femme. Le stratagème a réussi...
Ce cerveau aux broderies de perles de verre délicates apposé tel un cœur sur la peau, nous renvoie au stratagème.
Dans la Nouvelle cartographie, c’est encore une coupe de cerveau qui est apposée sur cette peau tannée, un cerveau porteur de la maladie d’Alzheimer. La forme de la peau, la disposition des broderies de perles éparpillées sur la surface forme un réel archipel, des bouts de terre qui se sont déconnectés, dé-assemblés, comme la maladie d’Alzheimer, qui perturbe les connexions au sein du cerveau.
Dans la série de dessins intitulé Membrane, il est bien question de membranes, de cellules. Ces neuf dessins de 50 x 70 cm chacun, positionnés bord à bord forme un bloc de 150 x 210 cm. Ces dessins sont réalisés avec de minuscules ronds à l’encre de Chine, seulement des ronds, plus ou moins espacés, plus ou moins denses, plus ou moins appuyés. Des ronds telles des cellules, où l’on perçoit les connexions, le flux, où l’on ressent la mouvance. Neuf dessins constituant une œuvre cellulaire, ils fonctionnent de manière autonome mais toujours assemblés à d’autres. Ils trouvent ainsi leur force et leur unité dans la démultiplication et la prolifération.
Ici encore nous sommes face à une cartographie, un paysage, une image qui pourrait s’apparenter à celle d’un satellite, image de la terre vue du ciel avec une rivière qui la parcourt entourée de petits monticules et d’étangs…
De l’infiniment petit à l’infiniment grand...
Ce rapport à l’échelle est essentiel dans l’œuvre de Nadine LAHOZ-QUILEZ, et je ne suis pas sûre qu’il soit perçu comme tel, ou conscient. L’artiste s’empare de l’infiniment petit, de la cellule, elle le transforme, l’explore, se le réapproprie pour nous le donner à voir, non pas à travers un microscope mais à échelle démultipliée, pour certaines de ces œuvres. Une dimension qui nous permet d’être immergés ou de pénétrer cet infiniment petit, ce que nous ne pouvons pas voir à l’œil nu et qui, agrandit nous transporte dans un autre univers, paysage ou rapport au corps et à son intimité.
Un rapport à la dimension qui perturbe et transforme indubitablement cette relation de l’interne, à une relation de l’externe et qui se mue en des formes poétiques et plus ou moins abstraites.
Les dessins des Explorations fonctionnelles, ou Membranes, de par leurs dimensions nous transportent dans un ailleurs, l’échelle modifiant profondément les choses, leur compréhension, et le rapport plastique. Nous sommes immergés, envahis par le trait.
Il en va de même lorsque que Nadine LAHOZ-QUILEZ, nous offre une œuvre dans laquelle le public doit interagir, participer, s’impliquer physiquement. Dans La fissure de l’intimité, le public est invité à pénétrer dans une « masse » noire de cheveux (fibres synthétiques). Cette structure suspendue, à la fois attractive, intrigante et répulsive nous place face à une relation directe à notre intimité et à notre relation à l’autre. Où pénétrons-nous, que pénétrons-nous ? Qu’est-ce-que cette forme ? Un cocon, une protection, un pubis ? La répulsion, le mal-être peuvent se comprendre… à l’intérieur une vidéo de 13 mn présente le travail de l’artiste lors de sa résidence en Tunisie en 2014, où elle a filmé des femmes en leur demandant de s’apprêter avec différents éléments de tissus mis à leur disposition. Il est question ici d’apparence, de voile, de caché, de ce que l’on donne à voir, mais également de féminité, de séduction...
Toute cette ambivalence liée aux cheveux qu’il faut cacher, matière de séduction et de détournement du regard, nous la retrouvons dans l’œuvre intitulée Dans l’obscurité de l’évitement, une série de cinq photos figurant des jeunes filles parées de cette longue chevelure tel un voile, un écran, une protection cachant le corps.
Qu’il soit dévoilé, voilé, suggéré, évoqué, caché, absent, magnifié, déformé, enfermé, décomposé, le corps nous confronte dans sa représentation à l’identité, à l’intime et aux codes sociétaux. Au delà de cette enveloppe, parure, carapace, camisole, déguisement, écran, le sujet n’est autre que la femme au cœur de la société, entre tradition et modernité. Elle interroge l’apparence et l’identité.
Comme un cocon...
Comme un cocon ou une chrysalide dans lesquels une transformation est en train de se jouer, symbole de vie en mutation, d’éclosion, d’évolution, de métamorphose, de révélation de soi... Nadine LAHOZ-QUILEZ questionne réellement notre positionnement dans cette transformation, tel un hymne à la vie. Que ce soit sous les postiches Dans l’obscurité de l’évitement, ou dans la pénétration de la masse de cheveux dans La fissure des intimités, nous subissons une évolution...évolution dans notre propre relation à nous même, à notre corps, aux autres ; transformation de nos émotions et ressentis.
Dans l’installation Les malformations cardiaques ou les difficultés d’aimer, présentée au Musée des Tapisseries, Nadine LAHOZ-QUILEZ nous propose de mettre en relation les malformations cardiaques et les problèmes de cœur, ceux-ci sont-ils liés aux problèmes physiques ? C’est à cette question que l’artiste nous invite à réfléchir comme l’écrit Yves Salvat :
« Dans des housses telles des cages thoraciques démesurées, les cœurs sont blottis au milieu de cocons de coton. Sous cette protection se dissimulent de réelles interrogations.
Cela nous projette dans la société où les hommes et les femmes entretiennent depuis la nuit des temps des relations plus ou moins bestiales, plus ou moins amoureuses, conflictuelles, proches ou distantes. C'est aussi comment l'homme, le mâle, considère la femme à travers les différentes cultures, les différentes sociétés. Le rapport à l'argent est évidemment présent dans la vision artificielle qu'il nous projette. Les titres sont évocateurs : I love you, Absence, Bling-bling, Circulation, Épiderme... et l'ordre par lequel l'artiste nous invite à pénétrer cette installation peut-être celui de la vie, l'amour, la mort avec toute l'évolution d'un, puis de deux êtres au sein du groupe humain. »
Des bustes suspendus envahissent l’espace, la notion de cocon, de chrysalide prend tout son sens, dans l’œuvre Sans titre, non pas tant comme transformation mais comme émancipation... Ces bustes de femmes, fragiles, aériens, tissés de fils, de papier, de résine, de lurex et de fils lumineux dans des tonalités laiteuses, dans lesquels nous percevons une ouverture longitudinale, cette fissure par laquelle s’est émancipée la femme.
L’œuvre que tisse Nadine LAHOZ-QUILEZ, est un réel dess(e)in, le trait sort du plan et se transforme en fil, il envahit l’espace pour relier l’intérieur à l’extérieur, pour connecter le non vu et l’apparence, pour nous relier à nous-même, à notre intimité et aux autres.
L’artiste nous donne à voir des œuvres d'une force et d'une portée universelles. Elle nous questionne, nous interroge telle une Pénélope des temps modernes, tissant la toile de la sagesse…
Christel Roy
Coordinatrice des Musées de la Ville d'Aix
Responsable du Pavillon de Vendôme
Commissaire de l'exposition
Rapprochements et réflexions anthropologiques sur les réalisations de Nadine Lahoz-Quilez - Christian Bromberger - 2018
« Les pièces de patron » me rappellent l’identité de fonction originelle des poils et des vêtements. Les poils recouvrent le corps, les vêtements recouvrent les poils et le corps. Cette substitution des vêtements aux poils a débuté il y a fort longtemps. Si l’on suit les paléontologues, cette régression des poils aurait commencé avec Homo ergaster, il y a 1,9 million d’années, cette toison étant encombrante pour ce bipède qui parcourait de longues distances et l’on sait que les muscles produisent une importante quantité de chaleur. Au demeurant, cette protection contre les rigueurs climatiques sera ensuite assurée par les abris construits et les vêtements dont l’homme se dotera. Mais poils et vêtements n’ont pas pour seule fonction la thermorégulation. Sinon on comprendrait mal qu’en plein été, quand le soleil est à son zénith, on se couvre davantage pour sortir que pour rester à l’intérieur où il fait plus frais. Le vêtement, pas plus que les poils, n’est réductible à sa fonction pratique. S’y lisent les différences de statut (sexuel, social), les limites du montrable selon les sociétés, les incidences de la mode… Cela-direz-vous- est moins évident pour le poil. Je ne le pense pas ; celui-ci peut être montré ou caché (pensez au poil sur le torse masculin, au statut de la barbe, aux poils pubiens dans les représentations picturales du corps féminin…), manifester les différences entre les sexes et les positions sociales (l’histoire de la coiffure en témoigne).
« La chemise étalée sur un coussin » me suggère une obsession de l’anthropologue : découvrir sous le fatras des faits la limpidité de la structure, dépouillée des couches superficielles qui encombrent le regard. Posée sur un coussin-oreiller, cette chemise me suggère aussi la chevelure déployée, débarrassée du carcan qui l’enserre à l’extérieur quand elle doit être à l’abri des regards ou cadenassée par des barrettes ou un élastique ; je pense aux sociétés qui préconisent le port du voile à l’extérieur mais aussi aux nôtres qui ont longtemps stigmatisé la femme « en cheveux ». « Femme en cheveux, viens si tu veux », disait le proverbe.
« Les figurines » de Nadine jouent sur l’opposition cheveux-poils pour nous en montrer la relativité : des cheveux tombent de la tunique, des poils qui s ‘apparentent à des cheveux, du pantalon. Des langues ne distinguent pas le cheveu du poil : hair en anglais, haar en allemand, mou en persan… désignent l’un et l’autre qui ont la même origine (follicule pilo-sébacé), sinon la même taille. La position des poils sur le corps humain, qu’illustrent ces figurines, soulève une question : ceux-ci n’ont-ils pas entre autres fonctions celle de solliciter l’attention sur deux parties essentielles de l’anatomie, la tête et le sexe ? C’est qu’au fond ils ne servent plus à grand chose. Les Indiens d’Amérique du sud s’arrachent les sourcils (mais aussi les cils) pour bien marquer la rupture entre culture et nature. Chez nous les chauves s’accommodent du soleil et la mode, chez les hommes, est de se raser l’ensemble du crâne dès une calvitie naissante. Le moins que l’on puisse dire est que les sociétés prennent leurs aises avec ces poils censés protéger leurs membres. Et c’est précisément parce que la pilosité est un vestige largement inutile qu’elle se prête sans problème à autant de bricolages et s’offre comme un vecteur de tant de significations.
Cheveux et poils sont donc produits par de minuscules follicules que Nadine Lahoz-Quilez a transformés en géants aux formes évocatrices. C’est ce contraste entre le ténu et le grand qui m’interroge ; il s’applique parfaitement au poil quand les sociétés s’en emparent et qu’on le passe au crible de la comparaison interculturelle. Le poil que l’on invoque souvent pour sa petitesse (« au quart de poil », « raser les murs », « coiffer sur le poteau », etc.) pose en effet de grandes questions ; c’est un révélateur privilégié pour humer l’air du temps et observer les mouvements des sociétés et de l’histoire. Une société nous dit, en effet, beaucoup d’elle-même par ses franges.
« La belle et la bête » réveille toute l’ambiguïté qui s’attache à la pilosité. Le poil nous rappelle notre inquiétante similarité avec les animaux et les risques qui nous guettent d’un retour à la condition animale. Les hommes des bois, les chasseurs furieux, les fous ensauvagés, les pécheurs qui ont transgressé la loi divine (Nabuchodonosor, Saint Jean Chrysostome avant leur repentir), les barbares, les hommes préhistoriques… sont, en général, représentés comme des êtres velus et hirsutes. Dans nos sociétés, le carnaval traditionnel rejoue périodiquement ce passage de la sauvagerie à l’humanité : les hommes se parent de poils, de plumes, de griffes, de cornes… Mais le poil est aussi ce qui connote la séduction, l’érotisme ; les poils pubiens recouvrent les organes du plaisir ; la chevelure féminine est si tentatrice qu’on la dissimule à l’extérieur dans de nombreuses sociétés. L’exemple le plus frappant du pouvoir de cette chevelure est celui attribué à Lilith, la première femme d’Adam d’après la tradition kabbalistique. Dans la tradition et le folklore juifs, Lilith apparaît comme une femme fatale, à la sexualité insatiable et illicite ; elle porte une chevelure rousse, libre et flottante et cherche à prendre la place de l’épouse légitime. À la porte de la maison, et surtout aux murs de la pièce où une femme allait accoucher, il était de coutume d’accrocher une amulette où était écrit : « Adam et Ève sauf Lilith ». D’une femme légère, on dit : « Elle laisse pousser ses cheveux comme Lilith » dont l’apparence s’oppose à celle d’Ève à la coiffure toujours disciplinée. Cette chevelure au vent, symbole de séduction, a été représentée de façon suggestive par des peintres (Dante Gabriel Rossetti, 1867-1869, John Collier, en 1905) mais est surtout devenue, pour les féministes, un emblème de liberté, de rébellion face à l’ordre sexuel établi ; elle a été promue en « doyenne de la libération de la femme » et est tout particulièrement revendiquée par les féministes juives se révoltant contre la coutume de « la chevelure opprimée qui pose un plafond sur le cerveau » (dans la tradition juive orthodoxe, les femmes recouvrent leur tête rasée d’une perruque).
Christian Bromberger
Anthropologue
Université Aix-Marseille