Merci de patienter

La Levée ou un certain silence - 2005 / 2010

Nadine LAHOZ-QUILEZ

menu

art contemporain, textile, photographie, enveloppe, levée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

LA LEVÉE OU UN CERTAIN SILENCE

art contemporain, textile, photographie, enveloppe, levée, stratifiction

Le vêtement

Le vêtement est une carapace souple révélatrice du corps. Élément amovible de la parure, il cache et dévoile. Il protège le corps du monde extérieur tout en l’affichant. Il participe à sa mise en forme, à la théâtralisation de ce dernier, rejoignant les codifications du paraître.

Le vêtement comme élément de la parure participe au parcours du corps et à ses métamorphoses. Il nous accompagne de la naissance à la mort. Il indique quelque chose d’ajusté, quelque chose du corps à corps, d’une seconde peau.
Ici le vêtement suppose l’absence du corps auquel il se rattache, et le signale tout à la fois. Si d’ordinaire il est considéré comme une relique, à savoir cet objet qui survit au-delà de la mort, là il devient la dépouille[1]. Il constitue une forme funéraire du corps.

 
 

 

 

art contemporain, textile, photographie, enveloppe, vêtement, levée

La récolte

Récolter des vêtements c’est collecter des fragments de vies individuelles et collectives. La collecte suppose deux protagonistes : celui qui donne, celui qui reçoit.
Le don implique le détachement. C’est abandonner, rompre avec ce que l’on a été, renoncer à la possession et enfin se dépouiller[2].

Les vêtements donnés ont fait usage. Ils se souviennent des corps qui les ont façonnés. Ils gardent en creux la vie d’un corps disparu qui les a investis. Les fibres produisent de la mémoire.

 

art contemporain, textile, photographie, enveloppe, levéeDe l’installation à la disparition

Le jardin

Les vêtements ont été pliés pour constituer des piles de hauteur égale puis disposées de façon à former un bloc compact. Les interstices ont été bouchés par des vêtements roulés. Seule la partie centrale est vide. L’ensemble est installé au fond du jardin, posé sur le sol.

L’empilement

L’empilement renvoie à notre existence qui procède par sédimentation et par accumulations de pertes. Chaque jour, à chaque instant nous perdons quelque chose et ces pertes sont irrémédiables. La dépouille se situe du côté de ce qui part, de ce qui se décompose. La disparition des vêtements tend vers cet irréversible.

Le pliage

L’empilement renvoie à notre existence qui procède par sédimentation et par accumulations de pertes. Chaque jour, à chaque instant nous perdons quelque chose et ces pertes sont irrémédiables. La dépouille se situe du côté de ce qui part, de ce qui se décompose. La disparition des vêtements tend vers cet irréversible.

L’acte normalisant du pliage fait référence à nos armoires et placards, lieux du rangement, de l’ordre. Ici le vêtement quitte son lieu propre et, le déplacer de l’intérieur vers l’extérieur, c’est lui ôter sa valeur d’usage.

art contemporain, textile, photographie, enveloppe, levée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

« Hors de... »

C’est le rejeter, le mettre « hors de » - hors d’usage, hors de la vue, hors de portée. Il subit le temps qui fait et le temps qui passe. Le dehors le destitue de son rôle protecteur et lui impose les modifications du corps abandonné. Il est décontextualisé pour mieux s’assimiler à la dépouille.

La proximité du sol va entraîner des altérations rapides. L’humidité augmente le poids des tissus et intensifie la sédimentation. Les bords s’affaissent progressivement. Le feutrage des fibres apparaît. Des micro-organismes s’installent et apportent une touche d’un vert éclatant sur les tranches puis un rouge brunâtre ternit progressivement toutes les autres couleurs. Elles passent. Tout se fane. Le fané montre les flétrissures de l’affaissement et la fatigue des fibres. Il indique le temps qui s’étire jusqu’à la disparition.

Le pollen des cèdres à proximité croûte la surface. Une invasion de champignons, des pezizes creux, évidés poussant dans le dedans de la terre font leur apparition.

Aujourd’hui plus rien ne pousse. Il semble que les fibres soient trop compactées, tassées par l’humidité. La végétation s’installe tout autour fertilisée par cette manne humiqueart contemporain, textile, photographie, enveloppe, levée

 

La photographie comme imago clipeata[3]

 

Les vêtements sont manipulés délicatement un par un avec des gants en plastique. Quelques prises de vues sont réalisées. Ensuite ils sont dépliés et épinglés sur une plaque de bois peinte en blanc, photographiés puis jetés.
La première séance s’avère difficile. Il fait froid, ce froid qui se loge en dedans. Le corps raidi, les gestes crispés, essaient de ne pas démembrer ces tissus alourdis par l’humidité et rongés par endroit.
Des insectes ont élu domicile entre les plis. Mon intrusion les affole et moi, me dégoutte. L’humidité exhale des odeurs de moisi et provoque des haut-le-cœur.
Le dépliage permet de voir le vêtement dans son intégralité et dans ses détails (poche, parement, manches…). L’identification est aisée et le rattachement à une histoire intime possible. La restitution photographique devient le lien entre ce qui est à nous et ce qui appartient à l’autre mais où nous nous reconnaissons tous.
Si le visible atteste du processus de dégradation lorsque celui-ci se ralentit et laisse supposer un répit, l’altération interne des piles quant à elle se poursuit. Lorsque l’invisible, l’atteinte du dedans apparaît, il annonce la disparition du vêtement.
Au fur et à mesure les séances deviennent de plus en plus difficiles, non pas par la répugnance qu’elles provoquent mais à cause de l’état de décomposition avancée des tissus. Par le feutrage, il devient difficile de les décoller sans les disloquer et une sorte de crissement sourd accompagne cette manipulation. Je ne peux plus les toucher. J’abandonne. La série s’arrête.

 

Le cadrage

Le cadrage est serré, sans décor. La figure est centrale, incontournable. Le regard est dans le champ. Sa seule issue possible est le détail. L’œil ainsi opère comme l’objectif de l’appareil, il focalise pour décontextualiser. Mais cette échappatoire est vaine car très vite la globalité de l’image organise des aller-retour ambivalents entre elle et son sujet. L’homme voit se diminuer le champ de ses projets et les perspectives de son avenir. Le regard est frontal et obstiné. Il invente sur les traces et projette sur les figures.

Les tailles de l’image

Chaque image appelle son format ; certaines s’imaginent en grand, d’autres se regardent comme des miniatures.
Le souvenir circule dans la mémoire familiale à l’aide de l’album de photos. Le format de l’image est imposé. Ici le choix ne se veut pas systématique mais tente plutôt de montrer la relation singulière que nous avons avec elle. La sortir de l’album par son format c’est l’imposer au regard de tous et lui permettre de devenir une surface de projection de nos propres histoires. Tout au contraire conserver le format, celui de la main c’est la retourner vers soi, une projection intime.
Désindividualisés, les vêtements deviennent les icônes de chacun. Impersonnels ils sont à tous et sont notre point commun.
La frontalité de l’image est ici comme une stèle collective. L’horizontalité est celle du transi. La terre condamne à la pesanteur et à l’absence. Patiemment, elle absorbe les restes de ce qui lui est abandonné pour rejoindre l’invisible.
Alors lui succède l’absence qui signale l’éloignement, de ce qui était et qui n’est plus.
 

Le fil, élément premier ou au début était le fil

Le fil est l’élément premier qui par assemblage du fil de chaîne et de trame constitue le tissu. Par la couture il permet le montage des pièces de patron. La terre désassemble. Les vêtements se disloquent. Les tissus se détissent. Le fil dit les restes, une dépouille réduite humiliée par les outrages du temps qui anéantit et consume tout.

Des sons pour le silence

Il y a des silences pleins d’une concentration indéfinissable, ou le dedans et le dehors, l’externe et l’interne se rejoignent pour aiguiser notre aperception. Le son est là pour appeler le silence, lui donner son volume. Il se compose des bruits du dehors, du lointain pour accentuer notre présence ici et maintenant. L’élément sonore va matérialiser les limites de l’espace tout en accentuant au sein même de ce celui-ci, l’isolement de celui qui regarde.

La levée

La levée fait référence à la levée de corps, à la mise en bière, l’ultime phase du visible.
Il n’y a plus de maintenant, ni de demain, c’est hier, un passé qui s’étend. Le temps qui passe devient le temps qui reste.

La levée a eu lieu en septembre.

art contemporain, textile, photographie, enveloppe, levée

 

[1] dépouille, dépouiller verbe repris techniquement pour ôter la peau d’un animal mis à mort (1611) par rattachement à peau (dépiauter). Alain Rey (dir.), dictionnaire historique de la langue française.

[2] dépouiller d’abord despoiller (v 1135), hérité du latin despoliane « privé de ses vêtements » dénuder par extension « ôter ce qui couvre » Alain Rey (dir.), dictionnaire historique de la langue française

[3] L’imago clipeata est un masque circulaire en cire moulé sur la face du mort dans la Rome antique. L’usage de l’imago clipeata se poursuit dans l’art chrétien. et montre simultanément des présents et des absents qu’un lien moral quelconque fait représenter ensemble. Cf l’imago clipeata chrétienne d’André GRABAR,

 

 

 

art contemporain, textile, photographie, enveloppe, levée

“ À partir de ces sources, un traitement et une amplification du signal ont été effectués autour des sons du quotidien dans le but de mettre en relief ces “perturbations” sonores auxquelles on ne prête plus attention et, montrer que le silence est une affaire de perception, de ressenti. On retrouve aussi dans cette tranche de “ temps qui passe “, la mise en avant du côté cyclique et rythmique de l’environnement sonore qui nous entoure.”

Captations sonores et mixage : Nicolas Sauvignet

https://drive.google.com/file/d/1vpjDqQw6WwN6HddyXzZwNJ3ewVFKv0Ms/view?usp=share_link

Chaque photographie s’accompagne d’un CD et de son booklet, numéroté.