LA LEVÉE OU UN CERTAIN SILENCE
Le vêtement
Le vêtement comme élément de la parure participe au parcours du corps et à ses métamorphoses. Il nous accompagne de la naissance à la mort. Il indique quelque chose d’ajusté, quelque chose du corps à corps, d’une seconde peau.
Ici le vêtement suppose l’absence du corps auquel il se rattache, et le signale tout à la fois. Si d’ordinaire il est considéré comme une relique, à savoir cet objet qui survit au-delà de la mort, là il devient la dépouille[1]. Il constitue une forme funéraire du corps.
La récolte
Récolter des vêtements c’est collecter des fragments de vies individuelles et collectives. La collecte suppose deux protagonistes : celui qui donne, celui qui reçoit.
Le don implique le détachement. C’est abandonner, rompre avec ce que l’on a été, renoncer à la possession et enfin se dépouiller[2].
Les vêtements donnés ont fait usage. Ils se souviennent des corps qui les ont façonnés. Ils gardent en creux la vie d’un corps disparu qui les a investis. Les fibres produisent de la mémoire.
De l’installation à la disparition
Le jardin
Les vêtements ont été pliés pour constituer des piles de hauteur égale puis disposées de façon à former un bloc compact. Les interstices ont été bouchés par des vêtements roulés. Seule la partie centrale est vide. L’ensemble est installé au fond du jardin, posé sur le sol.
L’empilement
L’empilement renvoie à notre existence qui procède par sédimentation et par accumulations de pertes. Chaque jour, à chaque instant nous perdons quelque chose et ces pertes sont irrémédiables. La dépouille se situe du côté de ce qui part, de ce qui se décompose. La disparition des vêtements tend vers cet irréversible.
Le pliage
L’empilement renvoie à notre existence qui procède par sédimentation et par accumulations de pertes. Chaque jour, à chaque instant nous perdons quelque chose et ces pertes sont irrémédiables. La dépouille se situe du côté de ce qui part, de ce qui se décompose. La disparition des vêtements tend vers cet irréversible.
L’acte normalisant du pliage fait référence à nos armoires et placards, lieux du rangement, de l’ordre. Ici le vêtement quitte son lieu propre et, le déplacer de l’intérieur vers l’extérieur, c’est lui ôter sa valeur d’usage.
« Hors de... »
C’est le rejeter, le mettre « hors de » - hors d’usage, hors de la vue, hors de portée. Il subit le temps qui fait et le temps qui passe. Le dehors le destitue de son rôle protecteur et lui impose les modifications du corps abandonné. Il est décontextualisé pour mieux s’assimiler à la dépouille.
La proximité du sol va entraîner des altérations rapides. L’humidité augmente le poids des tissus et intensifie la sédimentation. Les bords s’affaissent progressivement. Le feutrage des fibres apparaît. Des micro-organismes s’installent et apportent une touche d’un vert éclatant sur les tranches puis un rouge brunâtre ternit progressivement toutes les autres couleurs. Elles passent. Tout se fane. Le fané montre les flétrissures de l’affaissement et la fatigue des fibres. Il indique le temps qui s’étire jusqu’à la disparition.
Le pollen des cèdres à proximité croûte la surface. Une invasion de champignons, des pezizes creux, évidés poussant dans le dedans de la terre font leur apparition.
Aujourd’hui plus rien ne pousse. Il semble que les fibres soient trop compactées, tassées par l’humidité. La végétation s’installe tout autour fertilisée par cette manne humique
La photographie comme imago clipeata[3]
Le cadrage
Le cadrage est serré, sans décor. La figure est centrale, incontournable. Le regard est dans le champ. Sa seule issue possible est le détail. L’œil ainsi opère comme l’objectif de l’appareil, il focalise pour décontextualiser. Mais cette échappatoire est vaine car très vite la globalité de l’image organise des aller-retour ambivalents entre elle et son sujet. L’homme voit se diminuer le champ de ses projets et les perspectives de son avenir. Le regard est frontal et obstiné. Il invente sur les traces et projette sur les figures.
Les tailles de l’image
Le fil, élément premier ou au début était le fil
Le fil est l’élément premier qui par assemblage du fil de chaîne et de trame constitue le tissu. Par la couture il permet le montage des pièces de patron. La terre désassemble. Les vêtements se disloquent. Les tissus se détissent. Le fil dit les restes, une dépouille réduite humiliée par les outrages du temps qui anéantit et consume tout.
Des sons pour le silence
La levée
La levée fait référence à la levée de corps, à la mise en bière, l’ultime phase du visible.
Il n’y a plus de maintenant, ni de demain, c’est hier, un passé qui s’étend. Le temps qui passe devient le temps qui reste.
La levée a eu lieu en septembre.
[1] dépouille, dépouiller verbe repris techniquement pour ôter la peau d’un animal mis à mort (1611) par rattachement à peau (dépiauter). Alain Rey (dir.), dictionnaire historique de la langue française.
[2] dépouiller d’abord despoiller (v 1135), hérité du latin despoliane « privé de ses vêtements » dénuder par extension « ôter ce qui couvre » Alain Rey (dir.), dictionnaire historique de la langue française
[3] L’imago clipeata est un masque circulaire en cire moulé sur la face du mort dans la Rome antique. L’usage de l’imago clipeata se poursuit dans l’art chrétien. et montre simultanément des présents et des absents qu’un lien moral quelconque fait représenter ensemble. Cf l’imago clipeata chrétienne d’André GRABAR,
“ À partir de ces sources, un traitement et une amplification du signal ont été effectués autour des sons du quotidien dans le but de mettre en relief ces “perturbations” sonores auxquelles on ne prête plus attention et, montrer que le silence est une affaire de perception, de ressenti. On retrouve aussi dans cette tranche de “ temps qui passe “, la mise en avant du côté cyclique et rythmique de l’environnement sonore qui nous entoure.”
Captations sonores et mixage : Nicolas Sauvignet
https://drive.google.com/file/d/1vpjDqQw6WwN6HddyXzZwNJ3ewVFKv0Ms/view?usp=share_link
Chaque photographie s’accompagne d’un CD et de son booklet, numéroté.